Surveillez les champs magnétiques stellaires : ils sont changeants

Suivi à long terme d’AD Leonis avec SPIRou, ESPaDOnS et Narval : l’étoile naine rouge AD Leonis pourrait être la première de ce type pour laquelle on observera un renversement du champ magnétique.

Le cycle d’activité solaire de 11 ans est un phénomène bien connu, au cours duquel l’intensité du champ magnétique du Soleil varie et ses polarités s’inversent. Au cours des 30 dernières années, les astronomes ont identifié un comportement similaire pour plusieurs étoiles semblables au Soleil. Mais jusqu’à présent aucune inversion de polarités magnétiques n’a été observée pour leurs homologues plus froides, les étoiles naines rouges. Une équipe internationale incluant des scientifiques de l’IRAP, du LUPM, de l’IPAG, de l’IAP et du LAM vient de montrer que le champ magnétique de la naine rouge notoirement active AD Leonis pourrait s’approcher d’un renversement de polarités, en se basant sur des observations s’étalant sur 15 années [Publication Astronomy & Astrophysics]. Ces données ont été obtenues à l’aide des instruments ESPaDOnS et SPIRou au Télescope Canada-France-Hawaii (TCFH) ainsi que NARVAL au Télescope Bernard Lyot (TBL). Ce résultat permet de mieux comprendre la génération du champ magnétique des étoiles froides autres que le Soleil. En outre, l’étude du champ magnétique des naines rouges comme AD Leonis est essentielle pour comprendre l’environnement spatial dans lequel les exoplanètes rocheuses orbitent.

Lien vers le communiqué de presse du CNRS/INSU

Lien vers le communiqué de presse de l’Université de Montpellier

Lien vers l’interview de Julien Morin sur radio aviva

Lien vers l’interview de Julien Morin sur divergence fm

Le cycle magnétique solaire

En 1908, l’astronome George Hale a détecté pour la première fois le champ magnétique dans les taches solaires, à savoir des régions plus sombres de la surface solaire. Des observations approfondies ont suivi, aboutissant à la découverte du cycle magnétique solaire en 1919. Cette découverte était cohérente avec l’évolution des taches solaires observée en 1844 par Samuel Heinrich Schwabe : le nombre, la position et la taille des taches varient selon la même échelle de temps, ce qui montre que le cycle d’activité de 11 ans des taches solaires est lié à un cycle magnétique. À grande échelle, le champ magnétique du Soleil est généralement similaire à un dipôle, que l’on peut représenter comme un aimant géant avec un pôle positif et un pôle négatif. Au cours du cycle magnétique, l’intensité du champ varie entre un maximum et un minimum, et les polarités négatives et positives s’inversent. Au maximum du cycle, le champ devient plus complexe et l’étoile émet plus de rayons ultraviolets et de rayons X (comme le montre la figure 1).
Contrairement à un aimant permanent, le champ magnétique solaire est généré par le mouvement de gaz chaud et chargé électriquement (plasma). La description de ce phénomène est appelée théorie de la dynamo et sa première application au Soleil a été réalisée par Eugene Parker en 1955, qui a par la suite servi de base aux études des champs magnétiques stellaires. Comprendre ce qui détermine les propriétés du cycle solaire représente un défi majeur pour la théorie de la dynamo.

Cycle solaire
Le cycle solaire 23 depuis le minimum solaire de 1996 (en haut à gauche) jusqu’au minimum suivant en 2006, en passant par le maximum du cycle (au centre). Montage de 10 images du disque solaire dans le domaine ultraviolet extrême. Crédit : NASA.

AD Leonis

AD Leonis est une étoile naine rouge dont la température de surface est d’environ 3400 K (ou 3100°C, contre 5800 K ou 5500°C pour le Soleil), et elle est notoirement active. Elle possède un champ magnétique intense d’environ 100 mT, soit approximativement 1000 fois la valeur solaire ou 2000 fois la valeur terrestre. Plus généralement, les champs magnétiques des naines rouges diffèrent grandement du champ magnétique solaire, et on ne sait pas encore si elles peuvent présenter des cycles magnétiques, bien que des indices de cycles d’activité existent.
AD Leonis a été régulièrement observée entre 2019 et 2020 à l’aide de l’instrument SPIRou dans le cadre du Legacy Survey. SPIRou opère dans une plage de longueurs d’onde proche-infrarouge (0,95-2,55 µm) optimisée pour l’étude des naines rouges couplée à une haute précision polarimétrique, permettant une caractérisation précise du champ magnétique de l’étoile. L’étude menée par Stefano Bellotti, doctorant à l’IRAP, montre que non seulement l’intensité du champ magnétique diminue continûment depuis les observations menées à partir de 2006 avec les instruments ESPaDOnS et NARVAL, mais également que les pôles magnétiques de l’étoile ont commencé à basculer. Bien qu’une inversion de polarités n’ait pas eu lieu pendant les observations SPIRou, ces résultats indiquent que les naines rouges comme AD Leonis pourraient subir des cycles magnétiques, comme le Soleil. Cela encourage les astronomes à continuer à observer AD Leonis pendant encore plusieurs années.

Spectrographe de l'instrument SPIRou
Le système optique du spectrographe de SPIRou dans la salle blanche de l’IRAP/OMP à Toulouse. Crédit : S. Chastanet/CNRS/UPS/OMP.

Cartographie des champs magnétiques stellaires

Afin de mesurer les champs magnétiques stellaires, les astronomes utilisent la spectropolarimétrie, c’est-à-dire une mesure de l’orientation des vibrations qui composent l’onde lumineuse émise par l’étoile en fonction de la longueur d’onde. Ces données sont ensuite analysées à l’aide d’une méthode tomographique appelée imagerie Zeeman-Doppler pour cartographier le champ magnétique de l’étoile à mesure qu’elle tourne sur elle-même. Il est ainsi possible de surveiller l’intensité et la complexité du champ magnétique, et d’identifier des renversements de polarité.

Étoiles naines rouges et exoplanètes

Au-delà des dynamos stellaires, ces nouveaux résultats sont d’une importance capitale pour l’étude des planètes qui résident en dehors du système solaire, les exoplanètes. De fait, les naines rouges sont des cibles privilégiées pour la détection d’exoplanètes rocheuses semblables à la Terre.
Les cartes du champ magnétique obtenues grâce à l’imagerie Zeeman-Doppler sont des éléments fondamentaux pour comprendre l’environnement dans lequel les planètes orbitent [Bellotti et al. 2023b]. En effet, le champ magnétique d’une étoile régule la météo spatiale à proximité de celle-ci, à savoir les phénomènes énergétiques associés à l’activité stellaire tels que les éruptions et les éjections de masse coronale. Ces phénomènes jouent un rôle critique dans la capacité d’une exoplanète à maintenir une atmosphère au cours de son évolution, et donc à demeurer habitable.
SPIRou est également un excellent vélocimètre, c’est-à-dire qu’il peut mesurer l’infime mouvement d’une étoile induit par la présence d’une planète en orbite. Les mêmes données que celles utilisées pour suivre l’évolution du champ magnétique des naines rouges sont également utilisées pour découvrir des exoplanètes… ou parfois rejeter des candidats exoplanètes, comme cela vient d’être fait pour AD Leonis [Carmona et al. 2023] !

Équipe et projet

L’équipe internationale inclut notamment des scientifiques de l’IRAP (S. Bellotti, L. T. Lehmann, P. Petit, J.-F. Donati, A. Lavail., C. Moutou, and P. Fouqué), du LUPM (J. Morin), de l’IPAG (A. Carmona and X. Delfosse), du LAM (I. Boisse), et de l’IAP (E. Martioli, G. Hébrard), ainsi des collaborateurs dans les pays partenaires du projet SPIRou (Brésil, Canada, Suisse). Cette étude a été menée dans le cadre du grand relevé SPIRou Legacy Survey et du projet ANR SPlaSH : The SPIRou Planet Search for Habitable worlds (ANR-18-CE31-0019).

Pour aller plus loin

Contact LUPM

Julien MORIN – équipe Astrophysique Stellaire

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Le séjour des étudiants des Masters 2 « Astrophysique » et « Cosmos, Champs et Particules » de Montpellier et Lyon à l’Observatoire de Haute-Provence s’est déroulé cette année du 11 au 15 septembre.

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Les constellations de la grande et la petite ourse au-dessus du télescope de 152 cm. Le laser du LIDAR de la station géophysique est également visible. Crédit : Julien Morin.

Ce séjour est un moment important pour nos étudiantes et étudiants de Master qui ont ainsi l’occasion de rencontrer l’ensemble de la promotion répartie sur deux sites, et de mener un projet de recherche en groupe depuis la planification des observations jusqu’à la rédaction d’un rapport scientifique. Ce sont cette année 20 étudiantes et étudiants qui ont pu utiliser 3 télescopes de l’OHP ainsi que le télescope IRiS du LabEx OCEVU pour mener à bien 7 projets (caractérisation d’un système exoplanétaire, détermination de l’âge d’un amas d’étoiles, mesure de l’orbite d’un système binaire, etc). Au cours du séjour les étudiants ont également eu l’opportunité de visiter le télescope de 193 cm et le spectrographe ELODIE avec lesquels les astronomes suisses Michel Mayor et Didier Queloz ont découvert la première exoplanète en orbite autour d’une étoile de séquence principale en 1995.

Promotion M2 Astro-CCP 2023-2024 T193
La promotion 2023-2024 des M2 Astrophysique-CCP Lyon-Montpellier et leurs encadrants sous la coupole du télescope de 193 cm. Crédit : J. Morin

Les périodes aux conditions météorologiques clémentes ont été mises à profit pour collecter plusieurs milliers d’images et centaines de spectres afin de mener à bien leurs projets puis de réaliser quelques images d’astrophotographie.

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Ce séjour est organisé avec le soutien des Départements de Physique des Facultés des Sciences de l’Université de Montpellier et de l’Université Claude Bernard Lyon 1, ainsi que du Labex LIO et du LUPM.

Plus de photos du séjour OHP 2023 sur flickr.